Un féminisme décolonial
Françoise Vergès
Ed. La Fabrique, 2019
Quatrième de couverture :
« Dans le débat public, être « décolonial » est une infamie. Dans les universités, dans les partis de gauche et d’extrême gauche, les syndicats, les associations féministes, partout on traque une « pensée décoloniale » infiltrée et funeste pour le vivre-ensemble. Dans ce livre, Françoise Vergès, élucide l’objet du scandale. Le féminisme décolonial révèle les impensés de l abonne conscience blanche; il se situe du point de vue des femmes racisées: celles qui, travailleuses domestiques, nettoient le monde; il dénonce un capitalisme foncièrement racial et patriarcal.Ces pages incisives proposent un autre récit du féminisme et posent les questions qui fâchent: quelles alliances avec les femmes blanches ? Quelle solidarité avec les hommes racisés ? Quelles sont les premières vies menacées par le capitalisme racial ? Pourquoi les néofascismes s’attaquent-ils aux femmes racisées ? Ce livre est une invitation à renouer avec la puissance utopique du féminisme, c’est-à-dire avec un imaginaire à même de porter une transformation radicale de la société. »
La tyrannie de la réalité
Mona Chollet
Ed. Gallimard, 2006
» Plus notre manière de voir les choses nous entraîne vers la catastrophe, plus nous nous réclamons du « réalisme » : peut-être serait-il temps d’essayer autre chose. » (p16)
» En 2001, un spot télévisé destiné à sensibiliser le public à la protection de la nature montrait un promeneur mangeant un sandwich dans une forêt. Après avoir tenté de jeter son papier gras par terre, il se ravisait et le glissait dans sa poche. Un peu plus loin, sur son chemin, apparaissait un panneau portant l’inscription : Merci. / Autrement dit : l’être humain n’a rien à voir avec la nature, il y vit comme dans un décor de cinéma/
La sauvegarde de l’environnement dépend de son bon cœur, mais elle ne le concerne pas directement. Cette vision des choses, qui se croit rationnelle, est parfaitement inepte, puisque toute trace de vie humaine pourrait bien disparaître de la surface de la Terre sans arracher à Dame Nature davantage qu’un haussement de sourcils paresseux. » (P31)
« Une mise en danger est ce mouvement minuscule, à peine conscient, par lequel on décide de tenter à la fois une fidélité à soi-même et une expérience du monde. (P134)
Durant mes études de journalisme, j’ai vu un jour une formatrice en télévision griffonner hâtivement le story-board du reportage chez les sans-papiers- en grève de la faim- que ma camarade et moi étions censés rapporter deux heures plus tard : « Alors là, vous arrivez , ils seront tous étendus par terre dans leurs sacs de couchage, vous allez faire un plan d’ensemble… Quelques gros plans sur les visages, ils auront l’air fatigué… Puis vous allez en prendre un à part pour l’interviewer, il va vous dire : « Nous sommes décidés à aller jusqu’au bout ». Madame Soleil ressuscitée. Le problème c’est l’état d’esprit que dénote une telle attitude, une telle assurance. Elle ne dit pas à quoi ça a de fortes chances de ressembler : elle exclut d’avance la possibilité que ça en diffère un tant soit peu. Du coup, il y a fort à parier que le reporter ne remarquera même pas tout ce qui n’ira pas dans le sens de ses attentes : ce sont ses a priori qui lui serviront de boussole. » (P149)
« Les êtres sont comme « des îles dans la mer », ce qui donne l’illusion qu’ils sont séparés ; mais les îles sont elles-mêmes « des plis de la mer » : en profondeur, en dessous de la surface de l’eau, elles participent toutes du même bloc. Si l’on conserve cette image, c’est donc en creusant sa singularité que l’on peut le plus sûrement accéder au terreau commun. (…)
Miguel Benasayag , philosophe psychanalyste (p191)
« Ne jamais s’arrêter, ne jamais se croire arrivé, ne jamais cesser de faire des branches, qui elles-mêmes produiront de minuscules rameaux, qui eux-mêmes… « D’un homme ne croyez rien de ce que vous voyez. » Nicolas Grimaldi , philosophe (p206)
« Il reste le non venu du plus profond du désir. Il reste le sourire de l’ironie. Il reste la distance infinie, et son corollaire, l’existence incertaine, rebelle, toute simple. Ne pas demeurer une seconde de trop dans ce marais. Ne rien croire de ce qui s’y raconte. Ne pas lui prêter un iota de son être. N’y aspirer à rien. Y trouver sa subsistance quand on y est contraint , et quand on le peut. Toujours préférer fuir. Protéger ce non où il y a l’enfance et l’avenir, soi-même et le monde. Ce refus n’est pa sune bannière, un style, une dérobade, un prétexte à la violence ; c’est l’envers silencieux, paradoxal, nécessaire d’un oui. Travailler ce non jusqu’à ce qu’il tinte comme un oui aux oreilles de quelques-uns. » Jean Sur, écrivain et formateur en entreprise (p335)
Dans cette interview, les codes de communication du présentateur se heurtent durant tout l’échange à ceux de l’artiste Claire Brétécher qui ne cède pas au jeu télévisuel. En fin d’interview, un peu à court de mots le présentateur lâche :
« On vous aime Claire Brétécher ! »
CB: « Comment ? »
« On vous aime pour ce que vous êtes … Comme ça ! «
CB: » Savoir ce que je suis… Je sais pas je … Comment savoir ce que sont les gens ?
Enfin je sais pas : qu’est-ce que vous voulez dire ? «
Eloge du Risque
Anne Dufourmantelle
Ed. Payots et Rivages, 2011
(La compagnie venedig meer peut vous prêter cet ouvrage.)
» Notre perception est bien plus vaste que les frontières de ce que nous appelons « je ». Mon corps, ma voix, les pensées qui me visitent, les visions qui me traversent, « cela » en moi qui voit, qui respire, qui entend, ressent plus loin que moi. Si la perception est charnelle et se rend visible à nous, elle est aussi, pour une part, ce qui en nous est dans un rapport d’immanence au monde. (…) Il arrive à certains moments que des bribes de cette perception pure arrive dans les interstices de la conscience et là, nous menace d’un danger imminent; le moi ne peut faire face à cet afflux de perceptions non digérées par la conscience, venues comme de nulle part, d’une région de soi où nous sommes terra incognita. Le risque c’est de s’ouvrir à cette amplitude libératrice. Et perdre le contrôle. Souffrir là où l’on croyait être de tranquilles habitants de notre espace psychique, parce que nous préférons souvent à l’inconnu la connaissance de notre douleur. » (P107)
Je vous invite à découvrir l’univers de l’artiste Lise Duclaux, dont les oeuvres végétales, plastiques, textuelles et performatives ont toujours dévoilé pour moi des invisibilités inconnues… Des êtres vivants, des détails et des choses auxquelles je n’avais pas prêté attention jusque là. Cela dans une grande délicatesse mêlée de la personnalité franche et généreuse de l’artiste.
Rêver l’obscur
Femmes, magie et politique
Starhawk traduit de l’anglais par Morbic
préface Emilie Hache
pour l’édition française, Ed. Cambourakis, 2015
(La compagnie venedig meer peut vous prêter cet ouvrage.)
« Il n’y a rien de plus sérieux aujourd’hui que de devenir capable, à notre tour, d’inventer collectivement des dispositifs qui nous protègent à la fois du désespoir et du cynisme, comme des paroles qui suspendent le cours habituel des choses et (re)créent du possible. Si le premier acte de magie des écoféministes sorcières consiste à nommer ce qui fait peur, ce qui rend impuissant-e, le second consiste à nommer ce qui rend puissant-e, nommer ce que l’on souhaite à la place: c’est ce que Starhawk appelle « créer une vision ». Nous faisons (work) de la magie en visualisant ce que nous voulons créer. » (préface P20)
« Le pouvoir que nous devinons dans une graine, dans la croissance d’un enfant, que nous éprouvons en écrivant, en tissant, en travaillant, en créant, en choisissant, n’a rien à voir avec les menaces d’anéantissement. Il est à entendre au sens premier du mot pouvoir, qui vient du latin populaire poder, être capable. C’est le pouvoir qui vient du dedans, le pouvoir-du-dedans. (…) le pouvoir du dedans est le pouvoir du bas, de l’obscur, de la terre; le pouvoir qui vient de notre sang, de nos vies et de notre désir passionné pour le corps vivant de l’autre. » (p39)
« Modeler de l’énergie est étonnamment facile, presque instinctif. Nous faisons mouvoir de l’énergie par notre respiration, par nos voix, par les mouvements de notre corps et en formant des images dans nos esprits. Il y a cependant quelques principes de base.
Le premier est de commencer toujours où vous êtes, et non où vous pensez que vous devriez être. Même les états et les lieux que nous ressentons comme négatifs, comme pénibles, font corps avec de l’énergie. La colère, la rage, la dépression, le cynisme, la peur qui est résistance sont tous des sources de pouvoir si nous les utilisons comme indicateurs plutôt que comme blocs. Un autre principe pourrait être formulé ainsi: commencer à la terre et finir à la terre. (…) Quand nous faisons mouvoir l’énergie, quand nous faisons monter le pouvoir, nous le tirons de la terre et nous le laissons retomber vers la terre. Nous n’essayons jamais de le garder car l’énergie circule et revient toujours; elle se meut par cycles, par vagues qui montent et descendent. Elle ne peut aller indéfiniment dans une seule direction. » (P73)
» La vie est donnée à un enfant non seulement lors de sa naissance, mais à travers des relations avec des êtres qui l’aiment et s’occupent de lui. » (p86)
« De même que la lumière que nous voyons n’est qu’une petite portion du spectre des radiations, on pourrait dire que la réalité dont nous avons l’expérience n’est qu’une petite partie du spectre des possibilités. Nos esprits et nos sens ne peuvent pas plus avoir l’expérience directe de niveaux de réalité plus profonds que nos yeux ne sont capables de voir des ondes radio (…) » (P105)
« Notre plus grande ressource, et peut-être la seule, ce sont les gens – leur bonne volonté, leur pouvoir-du-dedans. » (P206)
» Pour trouver notre pouvoir, il nous suffit d’examiner les manières dont nous y renonçons. » (P241)
» La magie peut être considérée comme le précurseur philosophique de la relativité et de la théorie de la probabilité. » (P323)
« Nous devons tous discerner ce qui est sacré pour nous : à quoi nous donnons le plus de valeur, à quoi nous pouvons vouer nos énergies avec passion et joie, pour quoi nous acceptons de prendre des risques et de rester fidèle à une position. Quand nous vouons nos meilleures énergies à ce que nous chérissons le plus, quand nous refusons de laisser nos énergies être dévoyées vers de nouvelles destructions ou servir les fins d’autres gens, nous puisons dans le pouvoir qui crée les miracles quotidiens de la naissance, de la croissance et du changement, nous touchons des feux qui n’ont pas refroidi depuis le commencement du monde, nous déplaçons les plaques mêmes sur lesquelles nous nous tenons pour que de nouveaux continents puissent se former. » (P350)
Je vous invite ici à découvrir le travail de Mélodie Mousset (* 1981 Abu Dhabi, vit et travaille à Zurich). L’artiste cherche à gagner accès à son propre corps.
« Empruntant à des technologies comme la tomographie et l’impression 3D ou la VR (par exemple sous forme d’expérience de réalité virtuelle dans son projet “HanaHana”), tout autant qu’à des approches magiques ou ethnographiques, son travail produit un déséquilibre : il ébranle des convictions ancrées telles que l’idée que notre corps serait le nôtre, et unique. »
Le manuscrit de Voynich date du XVème siècle.
Jusque là il reste indéchiffré. Ses illustrations représentent entre autres des
végétaux inconnus, des corps de femmes humaines ainsi que des organes.
Récent article (2019) sur les tentatives de déchiffrage du manuscrit.
Wabi Sabi
à l’usage des artistes, designers, poètes & philosophes
Leonard Koren traduit par Laurent Strim
Ed. Le Prunier, Sully, 2015
(La compagnie venedig meer peut vous prêter cet ouvrage.)
« Quasiment depuis son émergence en tant que conception esthétique distincte, le wabi-sabi est associé de près ou de loin au bouddhisme zen. A maints égards, on pourrait même l’appeler le « zen des choses » , étant donné qu’il illustre de nombreux principes spirituels/philosophiques du Zen. Le wabi-sabi fut au départ l’affaire de personnes (maître de thé, prêtres ou moines) qui avaient toutes pratiqué le Zen et en avaient l’esprit imprégné. L’un des thèmes majeurs du Zen est un antirationalisme véhément. La connaissance essentielle, selon sa doctrine, ne peut se transmettre que d’esprit à esprit, et non par le biais des paroles ou des écrits. « Ceux qui savent ne parlent pas; ceux qui parlent ne savent pas. » A un niveau pragmatique, ce précepte est destiné à limiter les erreurs dans l’interprétation de concepts souvent mal compris. En conséquence, toute définition claire et explicative du wabi-sabi fut soigneusement évitée, quelles que soient les circonstances. » (P18)
« Le mot anglais le plus proche de wabi-sabi est probablement « rustic ». Le Webster donne de ce terme la définition suivante: « simple, naturel, ou non sophistiqué… (avec) une apparence rugueuse ou irrégulière ». (…) Du point de vue de l’étymologie les mots japonais wabi et sabi ont des sens passablement différents. Sabi signifiait à l’origine « froid », « maigre » ou « flétri », tandis que wabi désignait la misère de celui qui vit seul dans la nature, loin de la société, et suggérait un état émotionnel de découragement, d’abattement, de déprime. Vers le XIVème siècle, les sens des deux mots commencèrent à se rapprocher de valeurs esthétiques plus positives. La solitude et la pauvreté volontaires de l’ermite ou de l’ascète en vinrent à être considérées comme des conditions favorables à l’enrichissement spirituel. Pour les esprits enclins à la poésie, ce genre de vie stimulait l’attention portée aux détails de l’existence quotidienne, ainsi qu’ à la beauté d’aspects discrets et souvent négligés du monde naturel. En retour, la simplicité sans attrait fut prise comme base d’une beauté nouvelle, pure.
Au cours des siècles, les significations de wabi et de sabi , se sont si bien entrecroisées qu’aujourd’hui, la ligne qui les sépare est en fait bien floue. Quand un japonais contemporain dit « sabi », il entend par là également « wabi », et vice versa. » (P26)
« Quoique le XVIème siècle fût une période de guerre quasi continuelle, ce fut également un moment de créativité et d’inventivité intenses dans le domaine des arts. Le thé fut un champ d’expérimentation considérable en ce qui concerne les objets, l’espace architectural et le rituel lui-même. C’est en s’inscrivant dans ce courant que Rikyu remporta ce qui devait constituer sa réussite esthétique la plus durable: placer clairement les produits grossiers de l’artisanat japonais ou coréen (des objets wabi-sabi) au même niveau artistique que les trésors de la production chinoise, lisses et parfaits. » (P37)
« A l’approche du crépuscule, dans l’arrière-pays, un voyageur cherche un abri pour la nuit. Il avise les hauts joncs qui poussent tout autour de lui; il en réunit une brassée et les lie à leur sommet. Et voilà, une hutte d’herbe vivante ! Le matin suivant, avant de reprendre sa route, il dénoue les joncs; et voilà, la hutte, déconstruite, disparaît et redevient une part quasiment indiscernable de la prairie environnante.
Le caractère sauvage du lieu paraît être restauré, mais de menues traces de l’abri subsistent. Ici et là, une légère torsion ou inclinaison dans la tige d’un jonc. Il y a également le souvenir de la hutte dans la mémoire du voyageur (et dans celle du lecteur qui lit cette description). Le wabi-sabi, dans sa forme la plus pure, la plus idéale, s’intéresse précisément à ces traces fragiles, ces faibles preuves, aux frontières du non-être. » (P48)
Erba Volant
Neuf histoires formidables et scientifiques sur l’esprit pratique
des plantes et leur sens de l’innovation
Renato Bruni
préface Emmanuele Coccia
Ed. Payot & Rivages, Paris, 2019
(La compagnie venedig meer peut vous prêter cet ouvrage.)
« Nous sommes affectés d’une sorte de myopie à l’égard des plantes, d’une anesthésie de la perception dont le premier symptôme est notre incapacité à les remarquer et à évaluer correctement leur utilité et leurs fonctions » écrit Renato Bruni. Et pourtant, il est bien difficile de ne pas les apercevoir. (…) Les plantes sont notre vie, beaucoup plus que ce que nous sommes prêts à admettre. (…) Il suffit de respirer: l’oxygène qui est contenu dans l’air que nous inhalons n’est qu’un sous-produit d eleur métabolisme, et pourtant c’est uniquement grâce à ce détritus de leur existence que nous sommes en vie. » (P9)
» (…) en s’appuyant sur les recherches de nombreux biologistes, Stefan Mancuso et Anthony Trewavas ont définitivement prouvé que la plante est parfaitement consciente de ce qui arrive autour d’elle et en elle, et qu’elle est douée d’une mémoire et d’une intelligence qui, si elles se passent d’un système nerveux et d’un cerveau, n’en sont pas moins aigües que celle des animaux. (…) C’est seulement parce que nous avons demandé à un animal (avant tout l’animal humain) de nous révéler la nature de l’intelligence que nous nous sommes empêchés de penser l’intelligence végétale ou l’intelligence bactérienne. C’est à cause du narcissisme animal que nous continuons de présupposer que seule la présence d’un système nerveux garantit la présence de l’intelligence. Si nous croyons que les neurosciences nous livreront le secret de la pensée et de la conscience, c’est uniquement parce que nous sommes obsédés par les animaux. (P12)
Dans l’invisible qui n’est pas inexistant, il y a quelque chose qui porte le nom d’hospitalité. Le sentiment de se sentir bienvenu.es ou de se sentir accueilli.es et les raisons pour lesquelles nous éprouvons ce sentiment réparateur de bienvenue n’est pas toujours quelque chose que nous parvenons à formuler. Jean-Claude Métraux psychiatre de l’enfant et de l’adolescent et à la riche pratique transculturelle, a écrit dans son livre quelques mots qui parviennent, me semble-t-il, à donner à la fois une description formelle de gestes à poser mais aussi, parviennent à rendre audible cette sensation d’atterrir en douceur quelque part.
« Saluer le visiteur de façon appropriée;
lui proposer un fauteuil pour y déposer la fatigue du voyage;
lui offrir un café, de l’eau, des biscuits et peut-être une cigarette pour qu’il se désaltère, se sustente, calme son angoisse, hume le fumet du lieu;
le mettre à l’aise en introduisant la discussion par quelques phrases banales sur le temps qu’il fait;
lui autoriser quelques regards sur les tapisseries et les tapis pou qu’il apprivoise la demeure;
lui poser quelques questions, sans exiger de réponse, sur les péripéties du voyage ou la santé des membres de la famille.
Ce n’est qu’ensuite, passablement plus tard, que des sujets plus ardus pourront être traités. » (P74)
La migration comme métaphore
Jean-Claude Métraux
Ed. La Dispute, 2013
(La compagnie venedig meer peut vous prêter cet ouvrage.)
Les féministes blanches et l’empire
Félix Boggio Ewanjé-Epée
Stella Magliani- Belkacem
Ed. La Fabrique 2012
(La compagnie venedig meer peut vous prêter cet ouvrage.)
« On l’a bien oublié, le spectacle de mesdames Massu et Salan présidant des cérémonies de dévoilement à Alger à la fin des années 1950. Et le temps où les suffragettes vantaient l’oeuvre civilisatrice des femmes blanches aux colonies. Pourtant, à une époque où la loi interdit aux filles voilées d’aller à l’école au nom des droits des femmes, il serait bon de s’en souvenir. Ce livre rappelle l’héritage ambigu du mouvement féministe français, ses affinités stratégiques avec le projet impérial, son aveuglement face à la double oppression de celles qui sont à la fois femmes et non blanches. Autant d’impasses dont il ne s’est pas encore sorti, comme on peut le voir dans l’escalade islamophobe au nom du féminisme, ou encore dans les campagnes internationales contre l’homophobie qui se focalisent sur les pays de « l’axe du mal ».
Evoquer une actuelle « instrumentalisation du féminisme à des fins racistes » ne suffit pas. Comprendre la collusion d’intérêts entre le mouvement féministe blanc dominant et le pouvoir raciste, tel est le but scandaleusement nécessaire de ce livre.. » (Texte de la quatrième de couverture)
« Des milliards de neurones dans le cerveau se connectent en réseaux pour apprendre. Mais cela crée aussi des automatismes cognitifs auxquels il nous est très difficile de résister. «
Les recherches d’Olivier Houdé s’élabore dans le champ des neuro-sciences. Elles apportent des réflexions intéressantes sur l’apprentissage. Ce dernier n’est pas linéaire mais « accidenté et biscornu ». Il nous faut donc quitter la représentation classique d’un apprentissage en « escalier » nous menant définitivement d’une marche à une autre ou d’un stade à un autre.
Houdé développe la thèse d’une inhibition positive qui viendrait court-circuiter les heuristiques (réponses cognitives rapides par réflexes et croyance ) pour privilégier les algorithmes (réponses cognitives plus lentes mais plus fiables par déduction logico-mathématique).
On peut l’entendre ci-dessous :
https://www.franceinter.fr/oeuvres/le-cerveau-et-les-apprentissages
ou découvrir son ouvrage :
Apprendre à résister
Olivier Houdé
Ed. Le Pommier, 2017
(La compagnie venedig meer peut vous prêter cet ouvrage.)
L’artiste Yolanda Bonnell est d’origine Ojibwe et sud-asiatique, et se présente comme une femme « queer-two spirit ».
(L’expression « two spirit », traduite par « bispiritualité », désigne une catégorie spécifiquement nord-américaine de queer amérindien. Les Amérindiens appartenant aux troisième ou quatrième variations de genre dans les cultures natives, qui comportent quatre genres au lieu de deux. « Two spirit » est représenté par l’abréviation « 2S » dans le sigle LGBTTQQ2SIAAP – souvent abrégé en LGBTQ +. Le terme « 2S » ne s’applique pas, pour autant, aux gays et lesbiennes d’ascendance amérindienne. C’est beaucoup plus spécifique.)
En février 2020, au moment de présenter sa pièce à Toronto (CA), Yolanda Bonnell a demandé à ce que sa pièce ne soit critiquée que par des critiques IBPOC (indigenous, black, and people of colour) :
« In order to encourage a deeper discussion of the work, we are inviting critiques or thoughts from IBPOC folks only. There is a specific lens that white settlers view cultural work through and at this time, we’re just not interested in bolstering that view, but rather the thoughts and views of fellow marginalized voices and in particular Indigenous women. »
Suite à sa demande, de nombreux commentaires ont émergé. Ci-dessous un lien avec une interview audio de l’artiste qui s’exprime sur sa démarche:
Qui peut imaginer ?
Entretien avec Daniel Blanga-Gubbay Professeur à l’Académie royale des Beaux-Arts et co-directeur du Kunstenfestivaldesarts
Propos recueillis par Hélène Hiessler Chargée de projets à Culture & Démocratie
Fondée en 1993, constituée en asbl en 1994, association d’éducation permanente depuis 2010, Culture & Démocratie est une plateforme de réflexion, d’observation, d’échange et de sensibilisation à ce qui lie la culture et la démocratie. Cette articulation nourrit l’association depuis son origine.
Culture & Démocratie inscrit son travail de recherche et de réflexion dans plusieurs axes thématiques – prison, enseignement, santé, travail social, droit de participer à la vie culturelle, numérique, territoires, communs, migration(s) – dont elle explore à chaque fois l’articulation au champ culturel. Ces travaux donnent lieu à des échanges et des publications.
Revue Mouvement 68/ 2013
Eric Demey
« La question agite sempiternellement les compagnies de spectacle vivant: quelle place réserver à l’action culturelle ? (…) On connaît la chanson. Depuis longtemps, l’artistique et le socioculturel font plus ou moins bon ménage. (…) Nous n’avons de cesse, dans ces pages, d’être attentifs à toutes les initiatives qui nous semblent renverser cette malheureuse opposition entre deux activités (…) Cette opposition, la compagnie Jean-Michel Rabeux l’a retournée en synergie de moyens, fondant un système bien particulier qui prend aujourd’hui une ampleur remarquable (…) Jean-Michel Rabeux a décidé, avec Carole Rousseau, codirectrice de la Compagnie Jean-Michel Rabeux, de demander des aides pour engager une chargée de relations publiques . Son raisonnement était simple: « Je ne voulais plus dépendre de l’humeur de la critique pour la réussite de mes spectacles et garder une entière liberté de création. Pour cela, il me fallait trouver le moyen de remplir mes salles. » (…) On pourrait croire à une provocation de Rabeux, que d’avancer ses motifs de manière aussi peu diplomatique. » J’ai compris depuis longtemps que le spectateur de base veut revoir du déjà-vu plutôt que de découvrir du nouveau. Plus la forme que tu proposes est singulière et plus tu perds de spectateurs. Comme j’essaie de surprendre à chaque nouveau spectacle, je cours le risque de jouer devant des salles vides. D’un point de vue intéressé et par volonté de ne pas rendre mes spectacles communs, il me fallait donc travailler politiquement et artistiquement auprès de nouveaux spectateurs. » (…) Ce serait toutefois mal connaître l’homme que de le confiner dans cette simple logique de résultat, aussi imparable soit-elle. (…)
« Voir des jeunes issus de l’immigration applaudir l’air ravi alors qu’ils ont eu des corps nus à cinquante centimètres du visage, pour moi c’est un véritable bonheur. Tout à coup je sais pourquoi je bosse. (…) » Je veux faire des spectacles incongrus pour des spectateurs incongrus. Parfois ça bug. Mais quand ils rentrent dans la combine jusqu’au bout ça m’émeut. (…) C’est un boulot difficile et souvent mal fait. Il faut galoper au fin fond de la banlieue et bien réflechir à qui on fait venir à quoi. Cela soulève aussi des questions de financement très complexes. »
Contre l’interprétation in L’oeuvre parle
Susan Sontag traduit par Guy Durand
Ed. Christian Bourgeois, 2010
(La compagnie venedig meer peut vous prêter cet ouvrage.)
Je vous invite à découvrir la totalité de ce texte écrit par l’américaine Susan Sontag en 1964 et qui fait une quinzaine de petites pages. Il se termine ainsi :
» (…) L’interprétation fait bon marché de l’expérience sensorielle de la création de l’oeuvre d’art, et elle cherche autre chose. Mais de cela nous ne pouvons pas nous permettre de faire bon marché. (…)
Toutes les conditions de la vie moderne – l’abondance matérielle, la vie collective et ses encombrements – émoussent sans cesse nos facultés sensorielles. C’est en tenant compte de l’influence de ces conditions sur nos sens – et non pas par référence aux conditions d’une autre époque – que doit se définir la tâche assignée à la critique.
Ce qui nous importe le plus désormais, c’est de retrouver l’usage de nos sens. Nous devons apprendre à mieux voir, à mieux entendre, à mieux sentir.
Notre tâche n’est pas de découvrir dans une oeuvre un contenu de plus en plus abondant, et moins encore de nous efforcer d’y ajouter beaucoup plus qu’elle ne contient. Notre tâche est de nous libérer de la pensée du contenu pour goûter la chose elle-même.
Le but de tout commentaire artistique devrait être désormais de rendre l’oeuvre d’art – et, par analogie, notre propre expérience – plus réelle à nos yeux, et non pas de la déréaliser. Montrer comment l’objet est ce qu’il est, ou même simplement qu’il est ce qu’il est, bien plutôt que de faire apparaître ce qu’il peut signifier, voilà le véritable rôle de la critique.
Nous n’avons pas, en art, besoin d’une herméneutique, mais d’un éveil des sens. »
François Jullien, une aventure qui a dérangé la philosophie
François l’Yvonnet
Ed. Grasset, 2020
(La compagnie venedig meer peut vous prêter cet ouvrage.)
« Il ne s’agit pas d’aller chercher la » vérité » en Chine. (…) Il s’agit plutôt de passer par la Chine. Jullien parle d’aller et retour. Non pas un aller que suivrait un possible retour (…). Mais un constant aller et retour. (…) Comme il le dit lui-même : » Dans l’aller, le retour est déja en train de travailler. » Une démarche qui n’a rien à voir avec le comparatisme, qui examine les ressemblances et les différences. Avec, si l’on penche du côté des ressemblances, le risque ethnocentrique ou, au contraire, celui de l’insularité irréductible des cultures si l’on accentue à l’extrême les différences. » Comparer, c’est – le sait-on? – une autre façon de ne pas se déplacer : de ne pas quitter, donc de ne pas entrer. » (P23)
La langue chinoise présente un certain nombre de traits remarquables, qui apparaissent par écart avec les langues indo-européennes. Notre mot « chose », par exemple, premier mot chinois que Jullien se souvient d’avoir appris se dit « est-ouest » (dong-xi). La Chine pense en termes de corrélations: le monde se dit « ciel-terre » (tian di), la dimension, « grand-petit » (da xiao). Elle pense les opposées en complémentaires: yin et yang. Là où nous parlons de « paysage », « une portion de pays que la nature offre à un observateur » (définition du Robert), la Chine dit « montagne(s)-eau(x) » (shan shui). Il y a le haut et le bas, l’immobilité et la mobilité, la forme et l’informe. Ce qu’on voit, la montagne et ce qu’on entend, l’eau. (P36)
« Traduire, ce n’est pas simplement passer d’une langue à une autre, en craignant que toute traduction soit une trahison, selon l’adage trop fameux, mais penser entre deux langues, celle de départ et d’arrivée. (…) Certes il faut chercher des équivalents d’une langue à l’autre, mais aussi faire entendre ce qui résiste à toute tentative d’assimilation. Traduire, c’est se maintenir dans l’ entre-langues. (…) Un « entre » qu’il faut promouvoir pour produire du commun « intelligible ». Le produire, car le commun n’est pas donné. » (P41)
« Repérer des écarts entre deux langues (ou deux cultures), c’est ouvrir un espace de réflexivité, à partir duquel elles pourront se réflechir. On peut dire que, pour Jullien, penser c’est s’écarter. Il ne s’agit pas de se demander, par exemple, en quoi la pensée d’Aristote diffère de celle de Platon. Ce ne serait qu’une affaire de « rangement » par comparaison: identité et différence. Mais comment Aristote s’écarte de Platon. L’écart dé-range, au sens propre. » (P42)
« En entrant dans la pensée chinoise par sa langue, on découvre un univers de pensée inimaginable. C’est-à-dire qu’on ne peut seulement imaginer du dedans des langues indo-européennes. On ne peut imaginer, par exemple, que ce que nous nommons « paysage » se dise ne chinois « montagne(s)-eau(x) ». Inimaginé, mais, paradoxalement, totalement compréhensible, dès lors que l’on fait l’effort de se déplacer. Il faut faire l’expérience d’un « dehors », d’un ailleurs qui nous mette à distance de notre pensée. » (P44)
Rêver l’obscur
Femmes, magie et politique
Starhawk traduit de l’anglais par Morbic
préface Emilie Hache
pour l’édition française, Ed. Cambourakis, 2015
(La compagnie venedig meer peut vous prêter cet ouvrage.)
« Nous sommes à distance de la nature, des autres êtres humains, et même de certaines parties de nous-mêmes. Nous voyons le monde comme constitué de parties divisées, isolées sans vie, qui n’ont pas de valeur par elle-mêmes. Elles ne sont même pas mortes car la mort implique la vie. Parmi les choses divisées et sans vie, les seules relations de pouvoir possibles sont celles de la manipulation et de la domination.
La mise à distance est l’aboutissement d’un long processus historique. Il s’enracine dans la transformation, à l’âge du bronze, de cultures fondées sur la mère et la terre, dont les religions s’adressaient à une Déesse et à des dieux faisant corps avec la nature, vers des cultures urbaines patriarcales conquérantes dont les dieux inspiraient et soutenaient les guerres.« (P40)
« (…) les mots avec lesquels on se sent bien, les mots qui paraissent acceptables, rationnels, scientifiques et intellectuellement fiables, le sont précisément parce qu’ils font partie de la langue de la mise à distance. » (P51)
« la structure et non le contenu détermine comment l’énergie va circuler, sera dirigée, quelles nouvelles formes et structures elle pourra créer. (…) Nous pourrions dire que la culture est un ensemble de récits que nous nous racontons sans relâche. Ces récits ont des formes. Les formes de ces récits – non les personnages, l’environnement et les détails – engendrent nos attentes et nos actions. Il peut être utile de regarder quelques récits à la base de la culture moderne occidentale, car ce n’est qu’en les comprenant et en voyant leurs implications, les structures qu’ils créent en nous, que nous pouvons être libre de les changer. » (P59)
Bonus :
« Les gens ignorent souvent les tracts, mais tout le monde écoute les bavardages ». (P183)
L’appropriation culturelle
Rodney William
Ed. Anacaona, 2020
(La compagnie venedig meer peut vous prêter cet ouvrage.)
« L’appropriation culturelle est un mécanisme d’oppression par le biais duquel un groupe dominant prend possession d’une culture infériorisée, en vidant de significations ses productions, coutumes, traditions et autres éléments. (P41)
« Le fait que nos traditions ne deviennent visibles et respectées que lorsqu’elles sont pratiquées par des personnes blanches est une réalité qui, une fois acceptée, permet de comprendre la manière dont le racisme opère dans la structure sociale. » (P129)
» La résistance culturelle, concept politique qui inclut les relations de domination, nous semble plus puissant que le concept d’identité culturelle. Elle évite également toute confusion possible par rapport à l’identité. » (P148)
Humains, inhumains : Le travail critique des normes / Entretiens
Judith Butler / traduction de Jérôme Vidal et Christine Vidal
Editions Amsterdam, 2005
(La compagnie venedig meer peut vous prêter cet ouvrage.)
« Certains diraient que nous avons besoin d’une base à partir de laquelle agir, qu’il nous fait un terrain commun pour pouvoir agir collectivement. Je pense pour ma part que nous devrions favoriser les moments d’arrachement, où nous nous trouvons simultanément en deux lieux à la fois, où nous ne savons pas exactement où nous sommes, où la mise en oeuvre d’une pratique esthétique fait trembler le sol. « (P36)
« J’aime vraiment le moment où les termes ne fonctionnent pas. Ou bien quand l’incertitude épistémologique, l’incertitude sémantique du terme est révélée, de sorte que les gens se mettent à penser : » Je ne suis pas sûr de pouvoir encore utiliser ce mot » ou « Je ne suis pas sûr de ce que cela signifie lorsque je dis X. »
Je pense que c’est un moment très créatif, un moment intellectuellement intéressant. » (P54)
« Ce à quoi je m’en prends, peut-être comme Antigone, c’est la suffisance de ceux qui pensent que tout cela est réglé. La suffisance de ceux qui pensent savoir ce qu’est la communauté, ce qu’est l’universalité, ceux qui pensent que ces termes ont déjà reçu une définition, que nous la connaissons, que nous y avons accès, soit a priori, soit à travers une sorte d’accomplissement historique européen- quelle horreur ! Et ce sont ceux qui résistent à cela, ceux qui affirment qu’il existe en fait un futur ouvert, ou que ces termes traversent une crise – ce qui est une bonne chose-, qui sont traités de nihilistes, de décadents, de relativistes, leur relativisme ayant prétendument pour conséquence une paralysie politique. » (P56)
Lecture de Virginie Despentes
Séminaire de Paul B. Preciado
Centre Pompidou 2020
« (…) Ce qui compte aujourd’hui c’est prendre soin de nos paroles. (…) Ce n’est pas une affaire de bienveillance mais de sincérité. Ecouter sincèrement est peut-être ce que l’on doit apprendre. (…) Ecouter sincèrement en prenant le temps d’entendre. (…)
Tout le cirque du jugement relève du Vieux Monde. Comment entendre, recevoir, soigner pour ensuite transmettre autre chose que de l’abus de pouvoir. (…) Nous sommes exposés les uns aux autres. Ce qui signifie que tout ce qui est émis nous impacte et réciproquement. (…)
Je choisis de croire que nous ne savons rien de ce dont seront fabriqués les jours à venir. (…) Toutes les propagandes me traversent, toutes les propagandes parlent à travers moi. Rien ne me sépare de la merde qui m’entoure, rien sauf le désir de croire que ce monde est une matière molle, que ce qui est vrai aujourd’hui peut avoir disparu demain et qu’il n’est pas encore écrit que cela soit une mauvaise chose. »
https://journals.openedition.org/chrhc/2483
« Ce texte présente une brève histoire anatomique du clitoris telle qu’elle peut être reconstituée à partir des ouvrages médicaux de l’Antiquité jusqu’au XIXe siècle. Il rappelle le faible nombre de descriptions existantes dans le corpus antique connu, la multiplicité des termes introduits par les traductions gréco-latines ou arabo-latines ainsi que les récits récurrents des opérations génitales. Il s’attarde ensuite sur les investigations anatomiques menées par les anatomistes de la Renaissance, de la période moderne ou du XIXe siècle. Il se termine par la brutale dévaluation médicale du clitoris à la fin du XIXe siècle. L’article s’interroge aussi sur les raisons expliquant l’évolution de ces conceptions. »
https://www.ara.cat/es/opinion/paul-b-preciado-cuerpo-abierto_0_2007399421.html
Afin de rendre ce texte disponible en français puisque nous ne trouvions pas de traduction, nous proposons ici une traduction.
» Corps ouvert
La bataille pour la découverte ou l’invention de nouveaux organes est éminemment politique
Ces derniers jours, la communauté scientifique a annoncé la découverte d’un nouvel organe du corps humain. Ce à qui ils appellent « intersticio » serait « un conglomérat de tissus pleins de liquide, de même dimension que la peau, qui se comporte en tant qu’amortisseur en protégeant les muscles et autres organes ». Cette annonce a généré une ardente polémique dans le domaine médical. Alors qu’une partie de la communauté scientifique affirme qu’il est possible de découvrir de nouveaux organes qui, jusqu’à maintenant, n’avaient pas étés détectés par les modes traditionnels d’examen ou visionnage ; une autre partie de la même communauté considère que l’anatomie humaine a été déjà explorée de manière exhaustive et donc qu’il n’y a pas de possibilité de parler de « nouveaux organes ». James Williams, par exemple, directeur du laboratoire d’anatomie humaine à l’université Rush, ridiculisait cette découverte en affirmant que « aujourd’hui, les seuls organes du corps humain susceptibles d’être découverts sont ceux qui servent à faire de la musique ».
Contrairement à ce affirmé par Williams, le discours médical-scientifique n’a pas cessé de découvrir (ou doit-on dire d’inventer ?) nouveaux organes du corps durant les deux derniers siècles. Il est arrivé avec la découverte du clitoris au XVI siècle, avec la découverte des trompes de Fallope au XVIII siècle, avec celle de l’ovule et le spermatozoïde au XIX siècle … la liste serait en effet interminable. Loin de ce que l’on pourrait imaginer, le fait que nouveaux organes puissent être découverts (ou inventés) n’est pas une mauvaise nouvelle, tout au contraire.
Ce que l’actuelle polémique pour la découverte de l’intersticio présente, c’est la lutte entre deux épistémologies du corps. De la même manière dont Karl Popper a utilisé la distinction introduite par Henri Bergson pour différencier les « sociétés ouvertes » de celles « fermées », nous pourrions dire qu’il y a deux épistémologies du corps humain selon lesquelles les corps pourraient être considérés comme « corps ouverts » ou « corps fermés ». Dans les épistémologies du « corps fermé », le corps est considéré comme une entité sacrée déterminée par les lois naturelles, une anatomie limitée, un territoire complétement cartographié, un espace clos (et dit aussi mercantilisé) où la science peut intervenir pour affiner la représentation mais dont sa définition formelle et fonctionnelle est limitée. Face à cette représentation, il existe une épistémologie du « corps ouvert » selon laquelle le corps est redéfini et modifié constamment à travers ses usages sociaux et sa relation avec le langage et la technologie.
La bataille pour la découverte ou l’invention de nouveaux organes n’est pas une simple question de nomenclature ou de représentation. Il s’agit d’une question éminemment politique. Là où un organe existe, il est possible d’identifier une fonction, un usage, une relation sociale et, par conséquent, un processus d’agencement et de réappropriation. L’école universitaire de médicine de New York qui a annoncé la découverte de l’intersticio a immédiatement parlé de nouvelles techniques de diagnostic et de traitement. La découverte de l’intersticio ouvre, donc, un nouveau domaine d’intervention sociale, de nouvelles maladies, de nouveaux remèdes, de nouveaux médicaments, de nouveaux enseignements … chaque organe est un domaine d’action politique. Le caractère politique de cette querelle sur les organes se manifeste clairement dans la résistance du discours médicale-scientifique en acceptant les organes génitaux transformés par les thérapies d’hormones, ainsi que les prothèses sexuelles en tant que nouveaux organes de plein droit dans le corps transsexué.
Le dogme anatomique-politique sur la différence sexuelle que préside l’anatomie du « corps fermé » rend incapable la médicine de reconnaitre et de ratifier l’existence de nouveaux organes génitaux transsexués. Jusqu’à présent, le discours scientifique-légal insistait sur la possibilité de transformer l’anatomie féminine en masculine ou vice versa. On parlait des opérations de « vagin-plastie » et de « phallus-plastie » pour se référer à la construction chirurgicale d’un vagin ou d’un pénis mais il n’existait pas la possibilité de nommer ou reconnaître autres organes hors le binarisme génital. Le rejet d’un grand numéro de personnes transsexuées aux opérations de reconstruction génitale passant par le binarisme et l’apparition d’interventions qui n’ont pas pour objectif la construction d’un vagin ou d’un pénis, comme par exemple la « métoidioplastie » (qui coupe le ligament du clitoris pour le transformer en organe externe), expose la nécessité de reconnaissance de l’existence de nouveaux organes transsexués.
Entre-temps, attrapés dans l’épistémologie du corps fermé, nos corps transsexués existent dans un espace anatomique-politique vide. J’habite cet espace anatomique-politique vide quand je vais, par exemple, chez la gynécologue et j’attends, avec mon nom et corps transsexué, dans une salle pleine de femmes enceintes. J’imagine que ces femmes se demandent si je suis une personne qui accompagne l’une d’entre elles. La stupeur augmente lorsque la docteure m’appelle par mon nom masculin. Je ne suis pas celui qui accompagne l’une d’entre elles. Je suis un homme transsexué en consultation gynécologique. Mais rien de cela ne peut être nommé ni validé. Quand est-ce que la communauté médicale-scientifique acceptera de découvrir, nommer et autoriser nos organes transsexués ? »
© traduction française par Diana Murray-Watts
Extrait
« La « petite révolution statistique » promise en 2018 par la rue de Valois est en marche. A l’image du Centre national du cinéma (CNC), qui permet annuellement de connaître la fréquentation des salles et la répartition des entrées par film, le spectacle vivant disposera cette année d’un Observatoire de la création artistique. Grâce à la mise en place du nouveau Système d’information billetterie (Sibil), le ministère de la culture devrait enfin avoir des données exhaustives, fiables et régulières sur le nombre de représentations et de spectateurs dans tous les domaines du spectacle vivant (théâtre, opéra, musique, danse), qu’ils relèvent d’une gestion publique ou privée. D’ici au 1er avril, les quelque 20 500 entrepreneurs de spectacles (exploitants de lieux, producteurs, diffuseurs) répertoriés en France devront tous ouvrir un compte sur le logiciel Sibil et transmettre leurs déclarations chaque trimestre. (…) A terme, il sera notamment possible de savoir quels auteurs sont les plus joués en France, dans quelle ville on « sort » le plus au spectacle, ou encore quelle région est la plus amatrice de jazz ou d’opéra. « Nous n’avons jamais été opposés à la transparence des données, mais ce nouvel outil a été élaboré dans un esprit de secteur privé, regrette Nicolas Dubourg, nouveau président du Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles (Syndeac). L’observation ne doit pas se faire seulement d’un point de vue économique ou de profit mais aussi comprendre l’évolution du public. »
La Fabrique médiatique par Caroline Broué, France Culture, 08/02/2020
Extraits choisis:
Oriane Jeancourt, critique littéraire, rédactrice en chef du magazine Transfuge :
« La critique, pour moi, part du monde de la culture, part du monde de l’esthétique. Donc il n’y a pas d’enjeux sociaux dans la critique. (…) Le critique est là d’une part pour faire le tri. (…) Alors évidemment c’est un point de vue subjectif mais étant donné l’immensité des propositions (…) que ce soit en littérature en théâtre, et en cinéma je pense aussi, et bien face à cette immensité on est tous spectateurs, lecteurs désireux d’être guidés. (…) je sais que le mot (d’expert nda) est contesté, mais le critique est tout de même un expert, un expert esthétique, et bien le critique est là pour vous dire moi je vous conseille plutôt d’aller voir ça et d’argumenter pour ça. (…) avec des arguments qui sont ceux du monde de la culture, du monde de l’esthétique. N’oublions pas que le critique est du côté des artistes. Il n’est pas un touriste du monde social qui va tout d’un coup aller voir une œuvre et se dire mais dans quelle mesure ça touche telle ou telle question sociale. Je crois que le critique n’est pas du tout là pour ça. Le critique n’est pas là pour se conformer aux grandes questions qui traversent la société, loin de là. »
Antoine Guillot, critique de cinéma et de BD, intervenant régulier de « La Dispute » et producteur de « Plan Large » sur France Culture) :
« Alors je ne suis pas entièrement d’accord (..) d’abord parce que le critique est- lui même un animal social. C’est à dire qu’il est représentatif d’un certain milieu dont il est issu : milieu culturel milieu social, politique etc et qu’il s’inscrit dans le monde. (…) On attend de nous un rôle prescriptif dont je ne suis pas sûr que ce soit le vrai intérêt de la critique. Souvent des auditeurs vont nous dire « je ne vais pas tout de suite écouter l’émission j’attends d’avoir vu le film et je vais voir ce que vous en pensez » et il me semble que c’est effectivement ce qu’il y a de plus intéressant dans un critique au delà d’aiguiller. (…)La raison même de la critique c’est de proposer une lecture et d’ouvrir éventuellement des portes des fenêtres pour faire voir autre chose que ce que le lecteur, qui est un lecteur/ spectateur intelligent à priori, aura pu voir de lui-même. « (…) Je fais par exemple, des débats- critiques régulièrement avec des enfants qui vont à école et cinéma et on se voit après et pendant une heure on réfléchit ensemble. Ce que je leur explique c’est que la critique, (…) c’est de faire d’abord un travail de description. Qui est extrêmement important. De décrire ce qu’on a vu. Parce qu’on peut voir des choses que d’autres personnes n’ont pas vues ou en rater d’autres. Ensuite c’est de décrypter, (…) de décrypter une mise en scène, de voir comment c’est fait, tout simplement. Et à partir de ça, (…) de pouvoir dévoiler ce qu’il y a dans l’œuvre. Au delà du sujet apparent, au delà du scénario, et on voit tant de films qui semblent vous raconter une histoire mais qui dans leur manière même de la raconter vont à contre-sens total de ce qu’ils ont l’air de vouloir dire et vous racontent en fait une toute autre chose qu’il s’agit de déceler. Et c’est ce que moi j’attends d’un critique, des bons critiques, enfin ceux que je lis en tout cas (…). A La Dispute (…) il y a eu le choix de traiter de moins de sujets, de traiter de trois œuvres à chaque fois avec moins de critiques. Tout simplement parce que ça permet à une discussion de s’engager et au delà du premier tour de chauffe, où on dira c’est bien c’est pas bien, après on parle du sujet et là on peut atteindre, dans les meilleurs cas, au cœur même de la création. Alors, je ne sais pas si on est du côté des artistes mais on est du côté de l’art en tout cas et essayer ce que l’art en général (…) peut proposer de mieux mais pas de manière évidente. C’est là que je dis que le temps est nécessaire pour pouvoir creuser. »
Oriane Jeancourt:
(…) Oui le critique a une histoire, il vient d’un milieu (…) mais enfin bon il a choisi d’être critique et qu’est-ce que ça veut dire choisir d’être critique aujourd’hui, que ce soit à France Culture que ce soit à Transfuge, et bien c’est choisir de ne pas suivre le grand diktat commmercial, c’est quand même ça aussi souvenons-nous, et c’est en cela, que je pense, le critique doit exister,et continuera à exister, c’est qu’il y a une pression commerciale publicitaire extrêmement forte dans le monde de la culture comme partout , et le critique vient là et vient exercer sa subjectivité, vient transmettre au public son admiration pour certaines œuvres qui ne sont pas suscitées par la publicité ou par des diktats commerciaux. Et ça c’est quand même un contre-pouvoir extrêmement fort. (…) Et d’autre part le critique fait très souvent un exercice d’admiration. Et il faut bien dire que ça devient de plus en plus rare dans noter société de rencontrer des gens (..) qui disent leur admiration. (…)Dans ce geste d’admiration il y a quand même un geste social, et un modèle aussi de réflexion qui doit être pris en compte dans la société. (…)
Antoine Guillot :
(…) C’est dans l’idéal le rôle du critique effectivement d’aiguiller, de dire « regardez à côté de tel gros film il y a ça », mais c’est aussi celui de penser les gros films. (…) Il faut penser aussi les objets majoritaires et ce qu’ils disent et les décrypter eux aussi… qui ont souvent un fond idéologique très fort sous l’apparence du grand spectacle familial. (…) On ne peut pas s’abstraire dans notre façon de penser les films et dans la façon dont c’est reçu des grands débats et des grandes pressions idéologiques du moment. Donc actuellement elles sont d’autres sociétales, sans doute tant mieux, il y a une époque elles étaient purement sur des questions politiques. Et on est jugés aussi par rapport à ça puisque le critique est lui-même critiqué en permanence jugé par la personne qui l’écoute. (…) Un film d’il y a cinquante ans n’est évidemment pas perçu de la même manière aujourd’hui parce qu’on n’a pas les mêmes armes critiques , il n’y a pas eu les mêmes pensées. (…) Des critiques venant de milieux différents, d’origines différentes, de genre différents sont éminemment précieuses et il faut leur ouvrir les portes des journaux (…).
Oriane Jeancourt:
Là où je vous rejoins absolument c’est pour la diversité et pour le nombre de critiques (…) Moins il y a de critiques moins il y a d’expressions de cette subjectivité, donc moins il y a de diversités donc moins il y a d’intelligence(s) en œuvre. Et il faut bien dire que la crise de la presse écrite et, particulièrement, la crise des pages culturelles, et bien, va dans le mauvais sens pour ça c’est indéniable.(…) La critique est aussi menacée par des raisons économiques et par des raisons sociales qui n’aiment pas aussi cette fameuse position de surplomb qu’on reproche à la critique à mon avis à tort et donc il faut penser qu’on a besoin de la critique.
Antoine Guillot :
Oui on en a besoin, la critique n’est pas morte, ce sont les espaces de la critique qui singulièrement se réduisent. Mais c’est… la critique doit en inventer de nouveaux sans doute.
L’artiste québécois Olivier Choinière a écrit en 2009 un brillant texte sur la question critique. Il n’a pas vieilli. Lisez-le c’est pertinent, intelligent et fort bien écrit.
https://www.erudit.org/fr/revues/jeu/2009-n131-jeu1117180/1258ac/
Qu’est-ce que la somatique ?
Thomas Hanna traduction de Agnès Benoit-Nader
Source: recherches en danse
Recherches en danse est la revue de l’association des Chercheurs en Danse (aCD). L’aCD vise à favoriser échanges et confrontations dans le domaine de la recherche en danse. La revue souhaite combler un manque d’espace spécifique dans le champ international des publications francophones.
En rendant publics des travaux variés, la revue se fixe pour principal objectif de confronter les différents modes de réflexion et formes d’expression de la recherche en danse. Elle entend ainsi favoriser le croisement des connaissances et des regards issus des champs historiques, analytiques, esthétiques, artistiques, anthropologiques… pour n’en citer que quelques-uns.
Recherches en danse ne veut se fermer à aucun mode d’écriture et accueille des textes à caractère universitaire, mais également des témoignages d’artistes ou d’autres professionnels de la danse, des entretiens ou dialogues entre chercheurs et/ou artistes, ainsi que des recensions ou critiques d’ouvrages, des comptes-rendus de colloques et de conférences, ainsi que des traductions en français d’articles publiés dans d’autres langues. Des numéros thématiques sont proposés, donnant lieu à des appels à publication spécifiques. Les autres propositions d’articles mentionnées ci-dessus font l’objet d’un appel à contributions permanent.
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